CITATION
« L’introduction d’espaces de liberté dans la planification a le potentiel de favoriser la résilience des infrastructures, de créer de nouveaux milieux de vie et une réappropriation viable et durable par les citadins ». Philippe Gachon, Professeur d’hydroclimatologie, Département de géographie de l’UQAM.
DESCRIPTIF DU PROJET
Au Pied-du-Courant, les activités du Port de Montréal sur les quais et les voies de chemin de fer longeant le fleuve constituent aujourd’hui des espaces inaccessibles au public, coupant les Montréalais du Fleuve Saint-Laurent depuis les quartiers centraux de la métropole. Au-delà, le Fleuve accueille un transit maritime soutenu et un fort courant duquel le lieu historique du Pied-du-Courant tire son nom.
Bien qu’il s’agisse d’éléments fondateurs de l’identité montréalaise, les berges et le fleuve demeurent à distance de la ville et constituent un territoire enclavé, dédié exclusivement à des fonctions industrielles. La reconversion de ces infrastructures a le potentiel d’offrir aux Montréalais la possibilité de profiter du Saint-Laurent et de ses berges, en tant qu’attrait naturel mais aussi comme voie de communication à l’échelle métropolitaine. Plusieurs associations citoyennes réclament d’ailleurs aujourd’hui cet accès aux berges.
En 2067, des changements majeurs poussent la métropole à revoir le rapport de la ville au fleuve. Au fil des ans, les dernières industries lourdes ont quitté le Vieux Port et le quartier centre-sud, réduisant l’utilisation des voies de chemin de fer longeant le site à ces fins. La localisation stratégique de l’emprise et l’envergure du réseau ont cependant poussé à la conservation de quelques voies, notamment pour le transport de passagers. La qualité d’eau du Fleuve est régulée selon des critères stricts et la baignade y est maintenant possible.
Les effets des changements climatiques se font également sentir. Le nombre de jours de chaleur extrême a augmenté et l’accès aux points d’eau est devenu un enjeu majeur de santé publique. Aux périodes de sécheresse suivent des épisodes de froid extrême, les variations climatiques s’étant drastiquement accentuées. Les chocs de température et de précipitations sont de plus en plus importants et fréquents. Le niveau d’eau du Saint-Laurent en est donc impacté. Il subit des variations, à la hausse comme à la baisse et les quais sont périodiquement submergés.
L’enjeu principal réside donc dans l’accès à ce site d’exception, et dans son aménagement, permettant un usage public à des fins de plaisance, de mobilité et d’activités économiques. La transformation de cette infrastructure appelle aussi à une réflexion sur les activités portuaires en milieu urbain, qui doivent se transformer pour soutenir des échanges commerciaux de proximité, stimulant ainsi une économie locale et poursuivant l’histoire portuaire du site dans l’imaginaire collectif.
Par ailleurs, l’île se doit d’accroître sa résilience face aux changements climatiques, notamment quant aux épisodes de chaleur extrême, de précipitations et aux changements rapides du niveau du fleuve. La conception de limite franche entre l’île et son Fleuve doit également être repensée. Aujourd’hui très rigides, les infrastructures doivent devenir souples et s’adapter aux enjeux climatiques auxquels la métropole sera confrontée dans le futur.
Ouvrir la ville sur le Fleuve
Dans un premier temps, de nouveaux liens sont tissés entre la ville et les berges. Pour ce faire, le projet propose la création de liens nord-sud dans le prolongement des principaux axes du secteur que constituent les rues Papineau, Parthenais et Frontenac.
Trois passerelles monumentales assurent la continuité de la trame urbaine jusqu’aux berges. Appuyées sur l’infrastructure existante, ces structures souples s’achèvent en belvédères offrant des vues imprenables sur le Saint-Laurent et l’île Sainte-Hélène.
Restaurer l’espace de liberté
La proposition prend le parti d’inverser la gestion actuelle du cours d’eau. Le profil des quais est conservé, mais ceux-ci sont amincis pour constituer une digue d’une largeur d’une dizaine de mètres. Par l’enlèvement des quais, un nouvel espace est libéré entre la ville et le Fleuve. Cet espace de liberté est alimenté par des percements à même la digue qui permettent au Fleuve de s’infiltrer dans ce territoire instable. Les Montréalais et le Saint-Laurent retrouvent ainsi un espace de liberté commun, une zone de contact et d’échanges propices à l’émergence d’un nouveau rapport entre l’humain et son environnement.
Le mouvement naturel du Fleuve dans cet espace, par l’apport et le retrait de sédiments, crée un lagon intérieur parsemé de milieux humides, de plages et de bassins où la plaisance, la baignade, la récréation, l’aquaculture et de nouveaux écosystèmes s’installent. Un paysage évolutif prend forme, constamment redessiné par les mouvements du Fleuve.
En cas de sécheresse, une rétention de l’eau dans l’espace de liberté permet aux Montréalais de profiter d’un vaste point de fraîcheur en plein cœur du centre-ville, tandis que le patinage s’y invite en hiver.
Dans l’éventualité d’événements climatiques extrêmes, l’eau s’infiltre dans les percements, créant un spectacle éphémère de multiples cascades. L’espace de liberté permet ainsi l’expansion du Saint-Laurent, protégeant la ville. Nos prévisions font état d’une variation de plus ou moins 4 mètres du niveau du Fleuve en 2067 par rapport aux inondations de 2018.
Reconvertir les quais en promenade
La grande digue, correspondant à l’emprise des anciens quais, formalise une promenade linéaire publique, constituant désormais une liaison est-ouest continue sur une dizaine de kilomètres, du Vieux-Port jusqu’au parc de la promenade Bellerive (soit presque l’intégralité des interfaces riveraines des arrondissements de Ville-Marie et Mercier-Hochelaga-Maisonneuve).
Ce lien interurbain est réservé à la circulation des piétons et des cyclistes, et constitue une alternative directe à l’utilisation des voies de circulation routière à proximité. Parcours continu, il redonne les bords du Fleuve au public et reconnecte le Vieux-Port aux quartiers Sainte-Marie, Hochelaga, Maisonneuve et Mercier, dans une promenade riveraine au panorama à couper le souffle.
Faire revivre le canotage
Avant la construction de ponts, le canotage représentait le seul moyen d’assurer le transport interrives des marchandises et des passagers. Le Saint-Laurent a perdu cet usage, au profit d’une activité portuaire lourde et d’un trafic de transit vers les Grands Lacs.
Le projet propose de faire revivre cette utilisation du cours d’eau, dans un objectif de mobilité et d’approvisionnement local. Les points de contact des passerelles avec la promenade riveraine créent de nouveaux pôles, offrant une opportunité de poursuivre l’appropriation du Fleuve et des infrastructures par la population grâce au canotage.
Dans le prolongement de la rue Papineau, la gare multimodale Molson, reliée au métro, est un hub reliant plusieurs réseaux de transports en commun à l’échelle du Grand Montréal. Des trains de passagers circulent désormais sur les voies ferrées, tandis qu’un terminal de navettes fluviales électriques assure des liaisons rapides par voie maritime.
La linéarité de la promenade au niveau du pôle Parthenais crée quant à elle un vaste bassin dans l’espace de liberté, au Pied-du-Courant. Large plan d’eau calme, il permet aux bateaux de s’amarrer au port de plaisance et aux baigneurs de profiter de la plage, avec pour toile de fond le pont Jacques-Cartier et l’île Sainte-Hélène.
Au pôle Frontenac, la configuration en zigzag de la digue casse le fort courant Sainte-Marie et offre plusieurs zones de calme propices à l’amarrage de larges embarcations de transport de marchandises. Point de rupture de charge au sein de circuits courts, il fait transiter chaque jour les denrées assurant l’approvisionnement local des Montréalais, notamment alimentaire, par des navettes autonomes assurant leur transfert au réseau viaire. De l’autre côté de la digue, un espace de pisciculture se déploie dans l’espace de liberté.
Le fleuve retrouve sa vocation de voie de circulation au service de la communauté en dehors de la contrainte des ponts et de la congestion routière, soutient une activité durable et stimule l’économie locale.